Au matin, alors que nous nous affairons à réaliser nos tâches quotidiennes d’habitantes de la route, nous croisons l’homme blagueur de la veille qui nous pique une jasette au passage. Il s’avère qu’il habite à quelques mètres de notre campement. Plus tard, nous voyant laver notre vaisselle à l’eau froide, il réapparait pour nous offrir de prendre une douche chaude chez lui. Ne sachant pas quand se représenterait l’occasion, nous ravalons notre orgueil et allons frapper à sa porte. Il travaille sur son bateau à l’extérieur et nous laisse l’espace sans l’ombre d’un souci. Rafraichies et reconnaissantes, nous lui exprimons notre gratitude avant de reprendre la route. Sur le pas de la porte, Russ nous invite à nouveau, mais cette fois c’est une nuit dans la chambre d’amis (oui ! un vrai lit !) et une expérience de pêche aux écrevisses qu’il nous propose.
Après mûre réflexion, nous acceptons. J’ai appris que dans la vie, c’est beaucoup trop dommage de rater de telles opportunités par gêne ou par peur de déranger. Si on vous offre quelque chose, c’est généralement de bon cœur. Si tel n’est pas le cas, la faute n’est point vôtre. Tant pis pour les fausses sincérités, leurs instigateurs en tireront une leçon.
Nous partons faire une balade dans le coin. À notre retour, nous faisons connaissance avec B. et R., des amis de notre hôte qui reviennent tous de la pêche à la morue. On discute autour d’un verre qui ne se vide jamais. Les amis quittent et on prépare à manger, on met de la musique sur le balcon, du bon vieux rock - « dans le tapis » comme on dit. Russ rigole qu’il se fera expulser du village à force de leur casser les oreilles. On chante à tue-tête et on danse. C’est la fête ! La morue fraiche est excellente et la soirée mémorable.
Le lendemain matin, Russ est debout vers 7h, étonnement frais et dispo. Malheureusement, on ne peut en dire autant. Hop hop, on se dépêche malgré les maux de tête, c’est l’heure d’aller pêcher l’écrevisse ! Il n’y a rien de tel qu’un lendemain de brosse en mer pour vous donner des couleurs. Pierre-Anne a le teint vert. Russ à 4 pots. On cherche les bouées qui nous indiquent leur emplacement. Notre capitaine les accroche et les tire à bord grâce à une poulie et un mécanisme. Les cages sont pleines de crustacés. Les mains gantées, il les attrape un a un et les jettes dans un bac. Dans deux des cages – surprise - des anguilles munies de dents acérées. Elles n’ont pas l’air amicales. Même à l’aide d’un crochet, Russ n’arrive pas à les déloger. « Fermez les yeux », qu’il nous dit en saisissant un grand couteau. Prises d’une curiosité morbide, nous l’observons trancher la tête de la bête toujours vivante. C’est sanglant. Les mouettes s’attaquent aux restes du cadavre flottant à la surface. Alors, comment va votre estomac maintenant ? Serait-il temps de retrouver la terre ferme ? Un instant. Après la récolte, il faut vérifier que les écrevisses ont la bonne taille. C’est la loi. S’ils sont trop petits, ils ont droit à un vol planer par-dessus bord. Ils vivront. Et nous aussi. Le contenu de nos estomacs est resté bien en place et le fruit de notre pêche réjouira bientôt nos papilles.
Notre journée de découvertes ne fait que commencer, après s’être régalées, on saute sur le quad pour aller voir les phoques. On aperçoit quelques adultes qui se prélassent sur des rochers. Plus loin – jack pot – des tas de bébés accompagnés de quelques superviseurs se chamaillent et nagent dans les bassins d’eau laissés par la marée sortante. Nous nous approchons pour mieux les observer et soudain Russ déniche un petit juste sous mes pieds. Nous avons du mal à nous arracher de ce spectacle de la nature. Sur le chemin du retour, Russ nous raconte un tas d’histoires aux personnages colorés nous dévoilant des passages de sa jeunesse passée à courir les collines avec son bétail. Dans son temps, notre guide était tondeur de moutons.
Autre coup de chance du destin, ce week-end-là ont lieu les demi-finales de la grande compétition annuelle The Golden Shear. Quel meilleur guide pour nous y accompagner que ce vétéran de la tonte ? L’événement à lieu dans une étable, à la bonne franquette. Ça sent la sueur et la laine. Il y a des écrans au-dessus de chaque compétiteur pour nous indiquer son progrès et un commentateur enfile les blagues aussi vite qu’un encanteur. Les gars les plus rapides peuvent raser un mouton de la tête aux pieds en 40 secondes. Fou raide ! Russ explique que dans le métier, un homme de talent peut tondre jusqu’à 200 bêtes par jour. À 2$ le mouton, c’est payant. De l’argent durement gagné à la sueur de leurs biceps ! Initialement, j’avais pitié pour ces pauvres animaux qui se faisaient retourner dans tous les sens sans grande délicatesse, mais je me suis rapidement rendu compte qu’ils n’en souffraient guère. Ils devaient même se sentir légers et rafraichis. À quelques minutes de l’annonce du grand gagnant, l’énergie est électrique. On se croirait presque à un match des Habs.
Sur le chemin du retour, on chante Bon Jovi à tue-tête à la lueur du soleil couchant. Voilà qui clôture magnifiquement une expérience hors du commun. Au matin, nous faisons nos adieux la larme à l’œil. Cape Palisser et ses habitants resteront à jamais gravés dans notre mémoire.