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COUCHER DE SOLEIL AU BOUT DU MONDE - CAPE PALLISER

Pierre-Anne conduit tandis que je déchiffre les cartes routières. Le trajet vers Wellington est long et le ciel est obscurci par de lourds nuages de pluie. C’est moche. Les paysages qui défilent par la fenêtre me semblent sans intérêt. Je lis. Fidèle à moi-même, appelons ça une déformation professionnelle, j’étudie le guide touristique.

Le rédacteur chez Lonely Planet dit que le phare au Cape Palliser est un « must » si on a le temps et notre propre véhicule. Les quelques paragraphes décrivant ce coin reculé m’interpellent. J’ai une envie folle de faire le long détour qui y mène. Heureusement, mon amie au volant est sur la même longueur d’onde.

Avant de poursuivre, je ne peux m’empêcher de faire une parenthèse absurde, vous m’en excuserez. En nous arrêtant à Masterton pour prendre plus d’infos, je me suis extasiée en découvrant leurs toilettes publiques. Le truc, entièrement automatisé, vous parle et vous joue de la musique pendant 10 minutes. On en ressort en sifflotant l’air d’une chanson joviale pour le reste de la journée. « What the world needs now, is love, sweet love … » Quand on se compte chanceux d’avoir l’intimité d’une toilette chimique ou d’un buisson pour répondre à l’appel de la nature, ÇA, c’est le luxe ultime ! Vous aurez compris que les free camps n’ont généralement pas de services. Bon, fin de la parenthèse. Avouez que vous m’enviez de vivre dans une voiture présentement !

Nous délaissons la grande route. Les nuages se sont dispersés, offrant à nos yeux gourmands un magnifique tableau baigné d’une lumière dorée qui embrasse les courbes cobalt des montagnes à l’horizon. Les chemins de campagne traversent de grandes étendues de champs parsemés de petites bêtes emmitouflées dans leur laine de couleur crème. Ils sont frisés, rasés, debout, couchés. Au passage on leur cri « moutooooons » par la fenêtre, au cas ou ils auraient oublié ce qu’ils sont. Si vous faites de l’insomnie, ne les comptez pas, ils sont beaucoup trop nombreux en ce pays ! Mon cœur prend de l’essor. Je pourrais parcourir ces routes jusqu’au bout du monde et plus loin encore.

C’est alors que nous atteignons la côte. Par ici, des falaises rocailleuses abruptes, par là encore des fermes, en face une eau aux tons bleus toujours changeants. Plus on avance et plus on croit réellement se diriger au bout du monde et le bout du monde, nous indique une affiche, s’appelle Ngawi. On voit le village grandir en s’approchant. Une poignée de maisons qui regardent vers l’horizon et … rien. Des tracteurs rouillés de toutes les tailles et toutes les couleurs attendent en bord de mer jusqu’à la prochaine saison de pêche. Ils nous regardent passer de leurs grands yeux de cartoons.

On file tout droit, en sortant du village, au détour d’une courbe, on voit apparaître à l’horizon le phare que nous sommes venues découvrir. Il trône fièrement au sommet d’une falaise. Nous y voici enfin, quoique, pas tout à fait. Nous devons encore affronter les quelques centaines de marches qui nous séparent de notre bût, mais le coucher de soleil sur la côte promet d’en récompenser l’effort.

Alors qu’on se prépare à nous dégourdir les jambes, une voiture surgit d’un terrain privé et s’immobilise à quelques mètres de nous. Le conducteur, un local d’une soixantaine d’années, nous salue amicalement. Il blague un peu, saurons-nous battre son record de 52 secondes pour arriver au sommet ? Nous n’en avons point la prétention. Nous estimons une dizaine de minutes minimum. Dans un éclat de rire, il nous souhaite une bonne soirée puis reprend le chemin de gravier vers le village.

Étonnement, l’ascension est moins ardue qu’anticipé et le panorama nous invite à la détente. Le vent est doux. Les derniers rayons du jour caressent nos visages tournés vers l’horizon. La côte s’étend sous nos pieds, comme une feuille de papier déchirée, et la route serpente le long des baies et des saillies. Les vagues en contrebas se précipitent contre les rochers. On dirait qu’elles dansent. On fait le vide. On fait le plein. Je pense à ma famille et à la chance que j’ai d’être là.

Ce soir-là, nous immobilisons nos roues sur l’herbe d’un autre free camp. Nous sommes à l’orée du village, face à la mer. Le ciel est clair et la lune presque pleine. Il n’y a qu’un petit hérisson et quelques lièvres, presque inaperçus, pour agiter le calme de la nuit.

Merci Ngawi.

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